vendredi 11 mai 2007

L'Apport de la Civilisation Musulmane aux Sciences

Quand au milieu du VIIe siècle, les Arabes commencèrent leurs conquêtes, deux grandes civilisations en déclin, celle de Byzance et de la Perse, éclairaient le monde de leurs faux couchants.
La curiosité d'esprit naturelle des Arabes fut vivement frappée par le monde nouveau qui s'ouvrit à leurs yeux lorsqu'ils entrèrent en contact avec les populations des provinces conquises.
Dès que l'ère des invasions et les expéditions lointaines fut close, ils n'eurent pas de souci plus pressant que de se mettre à l'étude des sciences, des lettres et des arts de leurs nouveaux sujets.
L'ardeur qu'ils a apportèrent à ce nouveau genre d'occupation, qui succéda au tumulte des armes, ne fut pas inférieur à celle dont ils firent preuve sur les et scientifiques mirent leur immense pouvoir et leurs richesses au services des sciences.
Les circonstances les servirent bien. A l'époque de la conquête musulmane, les connaissances de l'antiquité gréco-romaine, de plus en plus persécutées à Byzance, avaient émigré en Mésopotamie et en Perse.
Dès l'an 431, les nestoriens avaient fondé à Edesse leur célèbre école. Jusqu'en 489 elle fut un foyer lumineux, d'où le savoir grec se répandit en Orient.
Lorsque Zénon l'Isaurien détruisit cette école, les moines nestoriens d'Edesse et de Nisibie, poursuivis pour crime d'hérésie, se réfugièrent en Perse. Ils y trouvèrent l'accueil bienveillant et la protection des Sassanides.
Les philosophes de la non moins célèbre école platonicienne d'Athènes et des écoles d'Alexandrie, fermées par Justinien, vinrent plus tard les y rejoindre.
Ces savants traduisirent les écrits d'Aristote, de Gallien, de Ptolémée et d'autres auteurs grecs en langues orientales : syriaque, chaldéen, etc.
C'est grâce à l'œuvre patiente de ces réfugiés que les Arabes purent prouver, lors de la conquête de la Syrie et de la Perse, une partie des trésors de la science gréco-latine, pourchassé et détruite sur toute l'étendue de l'Empire Romain d'Orient par le fanatisme de basiléis bigots et ignorants.
Ils firent traduire les versions syriaques et chaldéennes en arabe. Les œuvres philosophiques et scientifiques des auteurs grecs qui n'existaient pas encore en version orientales et qu'on put soustraire à temps à la rage des tructrice des agents de Théodose et Justinien, furent traduites avec le plus grand soin.
C'est au khalife al-Mansûr que revient l'honneur d'avoir donné la première impulsion à la traduction et à l'étude des auteurs grecs. Les khalifes Mohammed al-Mahdi, Haroun al-Rachid et al-Mamûn suivirent son exemple avec zèle et persévérance.
Sous l'égide de ces souverains remarquables, on enseignait, dans les écoles de l'Empire, à coté du texte et des commentaires du Coran, les œuvres d'Aristote, de Gallien, d'Hippocrate, d'Archimède, d'Euclide, de Ptolémée, d'Apollonius, etc.
Le savoir gréco-romain, ainsi préservé, se répandit à partir de l'Euphrate jusqu'à l'Afrique du Nord et au Guadalquivir et passa en France et en Italie.
" Les Arabes étaient admirablement disposés pour jouer le rôle de médiateurs, dit A. de Humboldt. Ils possédaient une activité sans exemple, qui marque une époque distincte dans l'histoire du monde ; une tendance opposée à l'esprit intolérant des Israélites, qui les portait à se fondre avec les peuples vaincus, sans abjurer toutefois, en dépit de ce perpétuel échange de contrées, leur caractère national et les souvenirs traditionnels de leurs patrie " (A. de Humboldt : Cosmos. Paris 1846-51-59).
Si la civilisation musulmane ne s'était bornée qu'à sauver les connaissances antiques, en constituer un précieux dépôt et le transmettre intact aux générations futures, le service rendu à l'humanité eut été déjà inestimable.
Mais tel ne fut pas le cas. Doués d'une imagination fertile, poussés par une curiosité intellectuelle insatiable, les Musulmans ne se contentèrent pas du rôle de simples gardiens du savoir gréco-romain.
Le stade d'apprentissage et d'accumulation des connaissances vite franchi, les disciples zélés devinrent maîtres à leur tour.
L'école de Bagdad reprit la tradition de la civilisation hellénique, rompue par la destruction des illustres écoles d'Alexandrie et d'Athènes. La pensée de l'antiquité fut enrichie et approfondie par des apports nouveaux et originaux. Des découvertes importantes dans tous les domaines des sciences assurèrent la continuité et le progrès de la civilisation.
Sans le travail immense accompli par les savants musulmans pour perpétuer et développer le savoir gréco-romain, la Renaissance eut été impossible.
Voici dans quels termes Mr Sédillot rend hommage à l'action civilisatrice des Arabes :
" Les Arabes sont, au Moyen Age, les seuls représentants de la civilisation ; ils font reculer la barbarie qui s'était étendue en Europe, ébranlée par les invasions des peuples du Nord " (L.A. Sédillot : Histoire des Arabes. Paris 1854).
" Le glorieux sillon que les savants de l'école d'Alexandrie ont tracé au milieu de la décadence et de l'agonie de Rome s'arrête au sixième siècle de notre ère, et la lumière ne se rallume en Europe que huit cent ans plus tard. Ce long intervalle a-t-il été pour le monde entier une période d'ignorance et de barbarie ?
C'est alors que les Arabes apparaissent : l'épée d'une main et le Coran de l'autre, ils commencent à la mort de Mohammed (632 de JC) cette série de conquêtes qui rangea sous leur domination la plus grande partie de l'Asie, de l'Afrique et de l'Espagne.
Apres la chute des Omeyyades (750 de JC), une ère nouvelle s'annonce ; à l'enthousiasme guerrier succède l'amour des lettres, des sciences et des arts. Bagdad à peine fondée devient le foyer d'une civilisation qui rayonne à la fois sur l'Orient et l'Occident " (L.A. Sédillot : Matériaux pour servir à l'histoire comparée des sciences mathématiques chez les Grecs et les Orientaux. Paris 1845-1849).


Ecole de Bagdad :

La création à Bagdad, en 830, par le khalife al-Mamûn de la " Beit el-Hikmat " (Maison de la Sagesse) fut l'un des événements les plus marquants du Moyen Age. On ne saurait exagérer l'importance du rôle que joua cette institution (sorte d'amalgame entre une académie, une bibliothèque et un bureau de traduction) dans la transmission à l'Occident du legs de la civilisation antique. L'effort principale de cet illustre collège, composé de savants chrétiens, juifs et arabes porta tout d'abord sur les sciences et la philosophie grecque. Les œuvres de Gallien, d'Hippocrate, de Platon, d'Aristote furent traduites. " Ce fut comme une invasion intellectuelle, à laquelle répondit chez les lettrés une ivresse de culture et de savoir… " (Louis Gardet, dans les Etudes Méditerranéennes. Eté 1957. N 01).
La " Beit al Hikmat " fut le berceau de l'école de Bagdad, dont l'influence devait se faire sentir jusqu'à la seconde moitié du XV siècle. C'est à cette illustre école que revient le mérite insigne d'avoir assuré la continuité de la civilisation en renouant la chaîne des connaissances humaines brutalement brisée au VI siècle par la décadence et l'agonie de Rome.
" Ce qui caractérise l'école de Bagdad, écrit Sédillot, c'est l'esprit véritablement scientifique qui préside à ses travaux : marcher du connu à l'inconnu, se rendre compte exactement des phénomènes pour remonter ensuite des effets aux causes, n'accepter que ce qui a été démontré par l'expérience, tels sont les principes enseignés par les maîtres. Les Arabes du IX siècle étaient en possession de cette méthode féconde qui devait être si longtemps après, entre les mains des modernes, l'instrument de leurs plus belles découvertes. " (L.A. Sédillot : Histoire des Arabes).
H.A.R. Gibb confirme le témoignage porté par Sédillot : " La concentration de la pensée sur les événements individuels, dit-il, disposa les savants musulmans à pousser la méthode expérimentale beaucoup plus loin que leurs prédécesseurs de Grèce et d'Alexandrie…Ils sont à l'origine de l'introduction ou de la restauration de la méthode expérimentale en Europe médiévale.
Il ne saurait être question, dans un court aperçu comme celui-ci, d'énumérer les apports multiples de l'Islam à la civilisation. Force nous est de nous borner à une évocation rapide de quelques découvertes parmi les plus importantes dues au génie des chercheurs musulmans, et de mentionner quelques noms de savants, de philosophes et d'écrivains qui illustrèrent les sciences et les lettres et exercèrent une influence notable sur la pensée de l'Occident.

Astronomie :

Les sciences qui attirèrent en premier la curiosité des savants musulmans furent l'astronomie et les mathématiques. La tournure d'esprit et aussi, sans doute, des considérations d'utilité publique, poussèrent les Arabes à se tourner d'abord vers les sciences exactes.
L'astronomie en particulier intéressa non seulement les hommes de science, mais plusieurs khalifes d'Orient et d'Espagne ; quelques sultans seldjoukides et khans gengiskhanides et timourides s'y adonnèrent avec passion. Rapidement, des observatoires surgirent un peu partout dans les grands centres de l'Empire de l'Islam. Ceux de Bagdad, du Caire, de Cordoue, de Tolède et de Samarkand acquirent une célébrité méritée. L'école astronomique de Bagdad remonte au règne d'al-Mansûr, deuxième khalife abbasside (754-775) qui, lui-même, fut astronome. Sous ses successeurs Haroun al-Rachid et Al-Mamûn l'école produisit d'importants travaux. Les théories antiques furent révisées, plusieurs erreurs de Ptolémée furent relevées et les tables grecques corrigées. A l'actif de l'école de Bagdad figure la reconnaissance du mouvement de l'apogée du soleil, l'évaluation de l'obliquité de l'elliptique et sa diminution progressive, l'estimation très précise de la durée de l'année.
Les savants bagdadiens constatèrent les irrégularités de la plus grande latitude de la lune et découvrirent une troisième inégalité lunaire, connue sous le nom de variation. Ils signalèrent les taches du soleil, étudièrent les éclipses, mirent en question l'immobilité de la terre et furent les précurseurs lointains de Copernic et de Kepler. Les résultats des observations de l'école de Bagdad furent consignés dans la Table Vérifiée. Yahya Abû Mansûr est considéré comme l'auteur principal de cette œuvre.
Parmi les plus célèbres savants de cette école citons : al-Batani (al-bateni), que Lalande place parmi les vingt astronomes les plus importants du monde, Abû Wefa, dont le nom est déjà lié à l'une des constatations fondamentales de l'astronomie, celle de la troisième inégalité lunaire. L'astronome musulman devança de dix siècle le savant danois Tycho-Brahe, à qui cette découverte est indûment attribuée.
L'illustre Ali Ibn Younis, inventeur de la pendule et du gnomon, pour qui le khalife fatimide Al-Hakem (990-1021) avait fait construire l'observatoire du Mont Mocattam, est considéré comme fondateur de l'école du Caire. Il rédigea la grande Table Hakemite, qui dépassa en précision toutes celles qui existaient auparavant ; elle succéda dans tout l'Orient et jusqu'en Chine à l'Almageste de Ptolémée et aux traités de Bagdad.
Hassan Ibn Al-Haîtan, un autre astronome et mathématicien de l'école du Caire, écrivit à la même, époque son célébre traité sur l'optique qui servit de base aux travaux de Roger Bacon et de Kepler. Il n'est pas sans intérêt de signaler en passant qu'Ibn Haîtan fut le premier à préconiser la construction du barrage d'Assouan pour elever le niveau de Nil.
Les études astronomiques ne furent pas en moindre honneur en Espagne musulmane. L'Emir de Cordoue Abd Al-Rahmane II manifesta un intérêt particulier pour cette science. Malheureusement, peu de choses nous sont parvenues des travaux astronomiques des Musulmans d'Espagne. La presque totalité de leurs œuvres fut détruite pendant la reconquête catholique et les persécutions religieuses qui l'accompagnèrent. Nous savons pourtant que les observatoires de Cordoue et de Tolède jouissaient d'une grande renommée, et l'histoire conserva les noms de plusieurs savants de l'Andalus : ceux de Maslamah al-Maghribi, d'Omar Ibn Khaldûn, d'Averroès et de quelques autres. Nous pouvons juger de la haute qualité des ouvrages perdus par les nombreux emprunts que leur firent les auteurs chrétiens contemporains.
Il apparaît ainsi que les tables astronomiques d'Alphonse X, dites " Table Alphonsines ", furent fortement influencées par les travaux des Arabes, sinon entièrement empruntées à eux.
Les guerres et les troubles intérieurs qui s'abattirent sur l'Asie à partir du IX siècle, pesèrent lourdement sur la vie intellectuelle de la société musulmane. Elles ralentirent considérablement la marche de la civilisation mais ne l'arrêtèrent pas.
L'Ecole de Bagdad survécut à la déchéance politique du khalifat d'Orient et au démembrement de l'Empire. Elle ne cessa son activité fructueuse qu'au milieu du XVe siècle. Son influence s'était étendue sur l'Asie centrale, les Indes et la Chine.
Un des plus illustres savants du monde de l'Islam : Abd Al-Rahmane Mohammed Ibn Ahmed Al-Birûni, qui servit de lien vivant entre les traditions de l'école de Bagdad et les traditions des savants indiens, vécut à la cour de Mahmoud le Ghaznévide (997-1030), protecteur des savants et des lettrés.
Le sultan seldjoukide Mélik Chah (1072-1092), souverain éclairé, avait un goût pour l'astronomie. Les observations qu'il ordonna conduisirent à la réforme du calendrier. Celle-ci précéda de six siècles la réforme grégorienne et fut plus exacte que cette dernière. L'honneur de cette réforme revient à Abd Al-Rahmane Hazeni et à Omar Khayyâm, célèbre auteur des quatrains qui immortalisèrent son nom.
Les souverains mongols nu furent pas moins favorables aux sciences. Le farouche Hulagu, de sinistre mémoire, destructeur de Bagdad, fit construire l'observatoire modèle de Meragah. Sa direction fut confiée à Nasr ed-Dine Thûsi, auteur des " Tables ilkhaniennes ", à qui l'on doit le perfectionnement de nombreux instruments d'observation astronomique. C'est grâce à ce nouveau centre d'études que les travaux des astronomes de Bagdad et du Caire pénétrèrent en Chine sous Koubilai Khan.
Mais c'est sous le règne d'Ulug Beg. Petit fils de Tamerlan, que l'astronomie musulmane brilla de son dernier éclat. Ulug Beg, dont le nom est inséparable, ainsi que celui de son père Chah Rûh, de l'admirable mouvement artistique et littéraire connu sous le nom de " Renaissance Timouride ", fut un astronome passionné. Il est considéré comme le dernier représentant des connaissances astronomiques de son temps. Un siècle avant Kepler il relie l'astronomie des anciens à celle des modernes.

Physique et Chimie :

" Les Arabes doivent être considérés comme les véritables fondateurs des sciences physiques " dit A. de Humboldt.
" L'influence des Arabes sur toutes les sciences naturelles, chimiques et médicales n'est pas moins incontestable que leur influence sur les sciences mathématiques ", affirme L. Viardot. (L. Viardot : Essai sur l'histoire des Arabes et des Maures d'Espagne. Paris 1833).
Il est malheureux que les principaux ouvrages de physique des Arabes soient perdus. Certains d'entre eux ne nous sont connus à présent que par leur titre.
Mais le petit nombre d'ouvrage qui nous sont parvenus atteste l'importance de leurs travaux et justifie les jugements de Humboldt, de Viardot et d'autres savants compétents qui ont exprimé des opinions analogues.
M. Chasles estime que le traité d'optique d'Al-Hazen fut " l'origine de nos connaissances en optique ".
Cet ouvrage qui " se recommande par ses considérations de géométrie savantes et étendues ", traite du foyer des miroirs, du lien apparent des images dans les miroirs, de la réfraction, de la grandeur apparente des objets, etc.
On sait que la construction des cadrans solaires, qui furent longtemps le seul moyen de mesurer le temps, attira l'attention particulière des physiciens arabes.
C'est à Abd al-Hassan Ali que la gnomonique paraît le plus redevable. On trouve chez lui, pour la première fois, l'emploi des heures égales dont les Grecs n'avaient pas fait usage.
Abd Al-Hassan Ali expose, avec un luxe de détails, la construction des lignes d'heures temporaires (appelées également heures antiques, inégales ou judaïques). Il utilise les propriétés des sections coniques pour la description des arcs des lignes et calcule les paramètres et les axes des courbes en fonction de la latitude du lieu, de la déclination du soleil et de la hauteur du gnomon. (Traité des instruments astronomiques, traduit par Sédillot et publié en 1834-1835).
Les connaissances des Arabes en mécanique furent également fort étendues pour l'époque. Les instruments multiples et ingénieux que les savants musulmans employaient dans leurs recherches nous en donnent une idée.
Le docteur E. Bernard, d'Oxford, a exprimé l'opinion que les Arabes découvrirent l'application du pendule aux horloges.
En tout cas il n'y a pas de doute qu'ils possédèrent des horloges à poids tout à fait différentes de la clepsydre. La preuve en est fournie par les descriptions de plusieurs auteurs, notamment par celle de Benjamin de Tudèle, qui visita la Palestine au XII siècle et donna la relation de la célèbre mosquée de Damas.
Il est vrai que la boussole a été inventée par les Chinois, mais ce sont les Musulmans qui la perfectionnèrent et en firent un usage pratique en appliquant l'aiguille aimantée aux besoins de la navigation. C'est d'eux que l'Europe a appris son utilisation.
On n'exagère pas beaucoup quand on dit que la chimie comme science n'existait pas avant les Arabes. Certes il serait injuste de prétendre qu'elle fut entièrement créée par eux. Les Grecs en possédaient quelques éléments. Mais ils ignoraient complètement les corps les plus importants, tels que l'alcool, l'acide sulfurique, l'acide nitrique, l'eau régale. Leur découverte fut réservée aux Arabes, ainsi que celle de la potasse, du sel ammoniac, du nitrate d'argent, du sublimé corrosif, de la préparation du mercure.
Il est difficile d'exagérer la portée de ces découvertes.
Si l'on ajoute que l'un des procédés fondamentaux de la chimie, la distillation, fut l'œuvre des Arabes, qu'ils furent les premiers à employer les méthodes de sublimation, de cristallisation, de solution, de coagulation, de coupellation, pour extraire ou combiner des substances, on est forcé de reconnaître que l'apport arabe à cette science fut vraiment décisif.
Un grand nombre de termes employés en chimie sont d'origine arabe. Alcool, alambic, alcali, élixir sont des mots arabes.
Le plus grand des chimistes arabes que nous connaissons fut Djeber Abû Moussa Djafar al-Kûfi. Il vécut dans la seconde moitié du VIII siècle et publia plusieurs ouvrages dont certains furent traduits en latin. Le plus remarquable d'entre eux est " La somme de perfection ", traduit en français en 1672.
Les travaux de Djeber forment une véritable encyclopédie scientifique et résument la science chimique des Arabes de son temps.
C'est dans l' " Al Hawi " de Rhazès (Abû Bakr Al-Razi) qu'on trouve la première description des procédés pour fabriquer l'acide sulfurique et l'alcool, qui s'obtenait par la distillation de matières féculentes ou sucrées fermentées.
Les recherches théoriques conduisirent bientôt les savants aux applications pratiques de cette science.
L'application de la chimie à la pharmacie n'est pas le moindre mérite des chimistes musulmans. " L'étude des substances médicales, préconisée par Dioscoride à l'école d'Alexandrie, est, dans sa forme scientifique, une création arabe "n écrit A. de Humboldt.
Un grand nombre de produits d'usage courant, tel que le camphre, l'alcool, l'eau distillée, les emplâtres, les sirops, beaucoup de pommades et d'onguents sont dus aux Arabes.
Les progrès que les Musulmans surent réaliser dans la chimie industrielle sont attestés par l'extrême habilité de leurs artisans dans l'art de la teinture, dans la préparation des cuirs, dans la trempe de l'acier, etc.
Les soies chatoyantes de Grenade, les mousselines bariolées de Cordoue, les lames de Tolède acquirent une réputation universelle.
Parmi les inventions d'utilité industrielle due aux Arabes, il faut tout particulièrement citer celle de la poudre et la fabrication du papier de coton, de lin et de chiffon.
L'invention de la poudre fut longtemps rattachée aux noms de Roger Bacon, d'Albert le Grand et de Berthold Schwarz.
" Les recherches de MM. Reynaud et Favé, précédés du reste dans la même voie par Casiri, Andrès et Viardot, dit Gustave Le Bon, ont nettement démontré que l'invention de la poudre comme substance explosible destinée à chasser les projectiles, est due uniquement aux Arabes. Les deux premiers de ces auteurs avaient d'abord, dans un travail primitif, adopté l'opinion très répondue qui attribue cette invention aux Chinois ; mais, dans un second mémoire, publié en 1850, ils sont revenus sur cette opinion. La connaissance de nouveaux manuscrits leur a fait constater que cette grande découverte, qui a changé tout le système de guerre, revient aux Arabes : " Aux Chinois, disent-ils appartient la découverte du salpêtre et son emploi dans les feux d'artifices…Pour les Arabes, ils ont su produire et utiliser la force projective qui résulte de la poudre ; en un mot ils ont inventé les armes à feu. "
Les historiens assurent habituellement que c'est à la bataille de Crécy, livrée en 1346, que l'artillerie apparut pour la première fois ; mais plusieurs passages de divers auteurs arabes prouvent que son emploi fut en réalité bien antérieur à cette date. Parmi les extraits de divers manuscrits traduits par Conde se trouve notamment un passage où l'on voit qu'un émir, Yabûd, assiégeant, en 1205, un chef de révoltés dans la ville de Mahédra, en Afrique, " combattit ses murailles avec différentes machines, et tonnerres…des engins qu'on n'avait jamais vus…qui lançaient chacun cent énormes jets, et de grosses pierres tombaient au milieu de la ville, et des jets de globes de fer. "
La lecture des manuscrits du temps prouve que l'emploi des armes à feu devient bientôt général chez les Arabes. Ils en firent usage, notamment en 1342, pour défendre Algésiras attaquée par Alphonse XI. " Les Mores de la ville, dit la chronique d'Alphonse XI, lançaient beaucoup de tonnerres contre l'armée, sur laquelle ils jetaient des balles de fer grosses comme de très grosses pommes, et les lançaient si loin de la ville, que quelques-unes d'elles passaient par-dessus l'armée, et d'autres frappaient dans l'armée. "
Les comtes anglais de Derby et de Salisbury, qui assistaient au siège, ayant été témoins des effets de la poudre, rapportèrent bientôt cette découverte dans leur pays, et c'est ainsi que les Anglais en firent usage quatre ans plus tard à la bataille de Crécy (Gustave Le Bon : La Civilisation des Arabes).
Il est difficile d'évaluer l'importance de l'invention du papier. Elle devait révolutionner le monde. La vulgarisation de la science, la constitution des grandes bibliothèques, la diffusion universelle du livre à bon marché ne sont devenue possible qu'à partir de la substitution du papier que nous employons au parchemin des anciens et au papier de la soie des Chinois.
La découverte par M. Casini, dans la bibliothèque de l'Escurial, d'un manuscrit arabe sur papier de coton, datant de l'an 1009, a démontré que l'honneur de cette invention capitale revient aux Arabes.
On sait maintenant les étapes que parcourut la fabrication du papier. La première idée en appartient aux Chinois. Depuis des temps très reculés, ils savaient préparer du papier avec des cocons de soie.
De Chine, le procédé passa en Asie Centrale. Lorsque les Arabes s'emparèrent de Samarkand, en 704, ils y trouvèrent une fabrique de papier. Conformément à leur habitude, les Arabes cherchèrent à tirer le meilleur emploi de la nouvelle industrie. Son utilisation étant limitée aux pays producteurs de soie, il fallait, avant tout songer à remplacer cette matière par une autre substance plus courante. Le problème fut résolu par la substitution du coton à la soie. Ensuite vint la découverte du papier de chiffon.

Mathématiques :

L'intérêt que les Musulmans portèrent à la science des astres devait nécessairement les conduire à l'étude approfondie des mathématiques.
cultivèrent en effet avec assiduité les diverses branches de cette science. Ils le firent avec une ardeur qui surprend quelque peu l'esprit européen, porté à considérer les Orientaux comme des imaginatifs, réfractaires aux règles rigides de la logique pure.
L'arithmétique, la géométrie et l'algèbre sont redevables aux savants musulmans de découvertes fondamentales.
En arithmétique, nous employons toujours les chiffres et le système de numération arabes.
L'invention même de l'algèbre (en arabe Al-Jabre) est attribuée avec beaucoup de vraisemblance aux Arabes.
Lors de la création de la " Maison de la Sagesse " le khalife Al-Mamûn avait confié sa direction à Mohammed Ibn Moussa al-Khwarizmi, que Cardan met au nombre des douze plus grands génies du monde. Son traité d'algèbre est intitulé " Al-Jabre w'al maakalala " (Calcul par restitution). C'est de la première partie du titre de l'ouvrage que provient le mot " algèbre " et c'est de la déviation du nom de l'auteur " al-Khwarizmi " qu'on a tiré l' " Algorithme ".
Cet ouvrage, traduit par Gérard de Crémone, " après avoir été la pierre angulaire de l'édifice mathématique élevé par les Arabes postérieurs, devait initier un jour les premiers collègues occidentaux à la fois aux beautés du calcul algébrique et à celle de l'arithmétique décimale " (Max Vintejoux : Le Miracle Arabe. Editions Charlot. Paris 1950).
" L'un des meilleurs esprit scientifique de l'Islam al-Khwarizmi est sans doute l'homme qui a exercé le plus d'influence sur la pensée mathématique de tout le Moyen Age. " (Philip Hitti : Précis d'Histoire des Arabes).
Il est vrai que certains auteurs font venir, sans preuves plausibles, cette science, ainsi que le système de numérotation décimale, de l'Inde. D'autres en font l'honneur aux Grecs. Une chose en tout cas est certaine : les progrès apportés par les savants arabes transformèrent l'algèbre du tout au tout.
L'application de l'algèbre à la géométrie est due aux Arabes. Elle fut l'œuvre de Thabit Ibn Carrah, mort en l'an 900.
Les travaux des savants Musulmans en géométrie furent particulièrement importants. Les Arabes, en effet, modifièrent entièrement cette science en ramenant la résolution des triangles à un certain nombre de théorèmes fondamentaux qui lui servent de base encore de nos jours.
" On avait toujours pensé, dit M. Chasles, que les Arabes n'avaient pas été au-delà des équations du second degré. On fondait cette opinion sur ce que Fibonacci et Lucas de Burgo s'étaient arrêtés à ce point de la science. Montucla, le premier, l'a mise en doute, et a pensé que les Arabes pouvaient bien avoir traité des équations di troisième degré ; il se fondait sur le titre (Algebra cubica, seu de problematum solidorum resolutione) d'un manuscrit apporté de l'Orient par le célèbre Golius, et qui se trouve dans la bibliothèque de leyde. Le fragment d'algèbre trouvé dans le manuscrit N° 1104 confirme la conjecture de Montucla et en fait un des points les plus importants de l'histoire scientifique des Arabes.
La trigonométrie est une des parties des mathématiques que les Arabes cultivèrent avec le plus de soin, à cause de ses applications à l'astronomie. Aussi leur dut-elle de nombreux perfectionnements qui lui donnèrent une forme nouvelle, et la rendirent propre à des applications que les Grecs n'auraient pu faire que très péniblement.
Les premiers progrès de la trigonométrie datent d'Al-Batani (Albategni). Ce grand astronome, surnommé le Ptolémée des Arabes, eut l'heureuse et féconde idée de substituer aux cordes des arcs, dont les Grecs se servaient dans leurs calculs trigonométriques, les demi cordes des arcs doubles, c'est-à-dire les sinus des arcs proposés. " Ptolémée, dit-il, ne se servait des cordes entières que pour la facilité des démonstrations ; mais nous, nous avons pris les moitiés des arcs doubles " Albategni est parvenu à la formule fondamentale de la trigonométrie sphérique, dont il a fait diverses applications. On trouve dans ses ouvrages la première idée des tangentes des arcs, l'expression sinus/cosinus, dont les Grecs ne se sont pas servis. Al-Batani l'a fait entrer dans les calculs de gnomique et l'appelle ombre étendue. C'est la tangente trigonométrique des modernes. (M. Chasles : Aperçus historique des méthodes en géométrie .
L'introduction des tangentes dans la trigonométrie se révéla d'une importance capitale. " cette heureuse révolution dans la science, qui en bannissait les expressions composées et incommodes, contenant le sinus et le cosinus de l'inconnue, ne s'est opérée que cinq cents ans plus tard chez les modernes ; on en fait honneur à Regimontanus : et près d'un siècle apres lui, Copernic ne la connaissait pas " (M. Chasles)
Terminons ce bref aperçu sur les mathématiques en rappelant que Nasr ed-Dinne Thûsi, qui vécut au XIII siècle, fut le premier à mettre en doute l'intangibilité du postulat d'Euclide. Il doit être considéré comme le précurseur lointain de Lobatchevsky et de Riemann dans la géométrie non-euclidienne.

Sciences naturelles et Médecine :

En sciences naturelles, comme en d'autres sciences, les savants musulmans commencèrent par des commentaires d'auteurs grecs.
Mais, ici encore, ils abandonnèrent bientôt les livres de leurs maîtres pour se livrer aux observations personnelles et à l'étude de la nature.
Les connaissances qu'ils acquirent en botanique leur permirent d'enrichir l'herbier de Dioscoride de deux mille espèces. On trouve dans la pharmacopée arabe plusieurs plantes et matières médicinales entièrement inconnues des Grecs.
On doit aux Arabes l'usage de la rhubarbe, de la pulpe de tamarin et de cassia, de la manne, des feuilles de séné, des mirobolans et du camphre. L'emploi du sucre, qu'ils préférèrent au miel des anciens, les conduisit à une foule de préparations salutaires et agréables ; à l'aide du sucre, ils composèrent des sirops, des juleps, des conserves d'herbes et de fruits et des éluctuaires.
Le gouvernement surveillait cette industrie si nécessaire au bien-être des citoyens ; les pharmaciens étaient responsables de la bonne qualité et du juste prix des médicaments.
L'histoire présente le général Afchin, visitant en personne les pharmacies de campagne, pour s'informer si elles étaient pourvues de tous les objets devant être contenus dans leurs dispensaires.
Les Arabes nous ont fait connaître les aromates, tels que la noix de muscade, le clou de girofle. Correa de Serra, juge très compétent, a remarqué, qu'en cultivant plusieurs arbres à fruits dioïdique, ils avaient eu des idées très nettes sur la fécondation sexuelle…
Ils avait porté l'agriculture au plus haut degré de perfection et s'étaient aussi occupés de géologie. Mr de Sacy a publié plusieurs parties intéressantes de l'ouvrage de Kazwini. N'oublions pas enfin que l'Europe doit au monde musulman la connaissance du café, de la tomate, de l'asperge, de l'artichaut et d'autres légumes, ainsi que d'un nombre considérable de fleurs tels que les lilas, le jasmin, la tulipe, la rose du Japon, le camélia, etc.
Parmi les animaux domestiques, les races chevalines les plus pures viennent de l'Arabie ; les meilleures espèces de la race caprine de l'Asie Mineure, les races ovines les plus réputées, les mérinos, du Maroc.
A coté de l'astronomie, des mathématiques et de la chimie, la médecine est la science qui occupa le plus les Musulmans.
Aux premiers siècles de l'Hégire, l'étude de la médecine, ainsi que celle des mathématiques et de la philosophie, faisait partie intégrante d'une instruction soignée.
Aussi le nombre de médecins distingués et des ouvrages qu'ils laissèrent est-il considérable. Dans sa " Série des médecins ", Ibn Useiba a résumé la biographie et les œuvres de plus de quatre cents médecins.
Heureusement, l'œuvre médicale des savants musulmans échappa à la destruction. Elle fut traduite et imprimée dans toute l'Europe. Les livres de plusieurs d'entre eux - d'Al-Razî, d'Ibn Sinâ, d'Abû Al-Qâssim, d'Ibn Zohar et d'autres - connurent une diffusion extraordinaire.
Au cours de plusieurs siècles, ils constituèrent le fond même de l'enseignement médical dans toutes les universités de l'Occident.
Le corpus médical de Rhazès (Abû Bakr Ibn Zakkaria Al-Razi) qu'il publia sous le titre de al-Hâwi (le continent), ainsi que son autre ouvrage, intitulé Mansûri, du nom du khalife Al-Mansûr, à qui le livre fut dédié, exercèrent une grande influence sur la science médicale, et furent consultés pendant longtemps.
Ils contiennent la première description de certaines fièvres éruptives telles que la petite vérole et la rougeole et le premier traité des maladies des enfants.
Al-Razi introduisit dans la pharmacie l'usage des purgatifs doux, des ventouses dans les cas d'apoplexie, de l'eau froide dans les fièvres continues. On lui attribue l'invention de séton dont il faisait un emploi fréquent.
Les œuvres d'al-Razi furent traduites en latin et imprimées plusieurs fois, notamment à Venise en 1509 et à Paris en 1528 et 1548. Son traité de la petite vérole fut encore réimprimé en 1745.
Un autre médecin dont la renommée fut grande est Ali Abbas, auteur d'un cours complet de médecine, qui porte le titre de Maléki (Royal).
Iranien d'origine, comme al-Razi et Ibn Sinâ, Ali Abbas vécut à la fin du X siècle. Son ouvrage contient dix livres de théorie et dix livres de pratiques. Il souligne tout particulièrement qu'il puisa la matière de ses observations dans les hôpitaux plus que dans les livres.
Ali Abbas signala plusieurs erreurs dans Hippocrate, Gallien, Oribaze, etc. le Maléki fut traduit en latin par Etienne d'Antioche en 1127 et imprimé à Lyon en 1523.
Le plus grand de tous les médecins de l'Orient fut certainement Ibn Sînâ (Abû Ali Al-Hussein ibn Abd Allah, appelé couramment Avicenne). Né en 980, il mourut en 1037.
Traitant de la philosophie musulmane, nous aurons l'occasion de reparler plus longuement de l'illustre penseur qui exerça une si forte attraction sur la pensée européenne du Moyen Age.
Bornons-nous ici à quelques indications sur l'œuvre proprement médicale de celui qui mérita le surnom de " Prince de la médecine ".
Son " Canoune ", ou règles de médecine, divisé en cinq livres fut édité en arabe, à Rome, en 1593, et connut plusieurs éditions en latin. Un manuscrit de cette œuvre se trouve à Paris. Avicenne composa en outre un livre sur les Remèdes pour le cœur et un certain nombre de poèmes sur la médecine.

Le " Canoune " comprend la physiologie, l'hygiène, la pathologie et la thérapeutique. Pendant six siècles, cette œuvre maîtresse servit de base aux études médicales dans toutes les universités de France et d'Italie.
Elle connut, au XV siècle seulement, quinze éditions en latin et une en hébreu. Elle fut réimprimée jusqu'au XVIII siècle. Et, encore au début du XIX siècle, on la commentait à la faculté de médecine de Montpellier.
Les progrès les plus importants réalisés par les médecins musulmans se rapportent à la chirurgie.
Au XI siècle déjà, ils connaissaient la lithotritie, le traitement des hémorragies par irrigations d'eau froide, l'emploi des caustiques, des sétons, de la cautérisation par le feu.
L'anesthésie, que l'on considère généralement comme un procédé relativement récent n'était pas ignorée des chirurgiens musulmans. Souvent, avant de procéder à une opération douloureuse, ils recouraient à l'emploi de l'ivraie pour endormir le malade jusqu'à insensibilisation complète.
Le plus grand des chirurgiens musulmans est Abû Al-Qâssim Khalaf Ibn Abbas de Cordoue (Aboulcasis), mort en 1107.
Le fameux physiologiste Haller affirme que " ses œuvres furent la source commune où puisèrent tous les chirurgiens postérieurs au quatorzième siècle ".
On doit à Abû Al-Qâssim beaucoup d'instruments de chirurgie, dont les dessins figurent dans ses livres. En décrivant la lithotritie, considérée sans raison comme une invention moderne, il indique pour la section exactement le même endroit que les chirurgiens de nos jours.
L'œuvre chirurgicale d'Abû Al-Qâssim fut imprimée en latin en 1497.
L'Espagne musulmane produisit encore beaucoup d'autres médecins de grande réputation, Ibn Zohar et Averroès entre autres.
Ibn Zohar (connu en occident sous le nom d'Avenzoar) de Séville vécut au XII siècle. Son grand mérite fut de ramener la médecine aux lois de l'observation. Le premier, il réunit l'étude de la médecine à la chirurgie et à la pharmacie. Ses travaux sur la chirurgie contiennent la première idée de la bronchotomie et des indications précises sur les luxations et les fractures.
La médecine lui doit la description de quelques maladies telles que l'inflammation du médiastin du péricarde. Sa thérapeutique fait grand cas de la nature, considérée comme une force intérieure suffisante pour la guérison de certaines maladies.
Abû Al-Walid Mohammed Ibn Rûchd (Averroès) dont la renommée de commentateur d'Aristote éclipsa ses mérites de médecin, fut l'élève d'Ibn Zohar. Il eut la plus grande vénération pour son maître.
" Pour parvenir, dit-il, à une connaissance approfondie de la médecine, il faut lire avec soin les ouvrages de notre savant maître, qui en sont le trésor le plus parfait. Il a su tout ce qui est permis à l'homme de connaître dans ces matières et c'est à sa famille qu'on doit la vraie science médicale".
Averroès a écrit des commentaires sur les " Canoune " d'Ibn Sînâ et sur Gallien, un traité sur la thériaque, un livre sur les poisons et sur les fièvres. Son principal ouvrage, publié sous le titre " Colliget " (Cûlliyat " imprimé à Venise en 1490, fut réimprimé plusieurs fois en divers pays.
L'ophtalmologie doit son existence à la science arabe. Déjà au XI siècle ils connaissaient le traitement de la cataracte par abaissement ou extraction du cristallin. Le " Mémorandum des occultistes " d'Ali Ibn Issa, ne devait être surclassé qu'au XIX siècle. La première opération de la succion de la cataracte à été pratiqué en 1256 par Al-Mahûsin et c'est lui qui inventa l'aiguille creuse.
Le syrien Ibn Al-Nafis, mort à Damas en 1289, exposa le premier avec précision le mécanisme de la circulation du sang, trois siècles avant le portugais Servet, à qui on attribue généralement cette très importante découverte.
La description de la circulation pulmonaire d'Ibn Al-Nafis a été signalée par un médecin égyptien Muhyi-Dine Tatawi, dans une thèse de l'université de Fribourg soutenue en 1924.
En terminant cette aperçu rapide sur la médecine, disons deux mots sur l'hygiène des Musulmans.
On sait que le Coran contient d'excellentes prescriptions hygiéniques : ablutions fréquentes, interdiction des spiritueux, interdiction de la viande de porc, dont l'usage dans les pays chaud présente un réel danger pour la santé.
On sait que ces recommandations du Livre Saint sont scrupuleusement suivie par les fidèles. Les médecins musulmans, de leur coté, attachaient toujours une grande importance à l'observation des règles hygiéniques dans le traitement des maladies.
" Les hôpitaux arabes, dit Gustave Le Bon, non sans exagération peut-être, paraissent avoir été construits dans des conditions hygiéniques fort supérieures à celles de nos établissements modernes. Ils étaient très vastes et l'air et l'eau y circulaient en abondance…les aphorismes de l'école de Salerne contiennent de nombreuses indications hygiéniques très précieuses. Considérée comme la première de l'Europe.
" Lorsqu'au milieu du XI siècle, les Normands s'emparèrent de la Sicile et de la portion de l'Italie occupée par les Arabes, ils accordèrent à l'école de médecine fondée par ces dernier toute la protection qu'ils accordaient aux institutions musulmanes.
" Un Arabe de Carthage, très instruit, nommé Constantin l'Africain, fut mis à sa tête. Il traduisit en latin les œuvres médicales importantes des Arabes. c'est de ces ouvrages que furent extraits les célèbres aphorismes qui ont conservé pendant si longtemps à Salerne sa grande réputation. " (G. Le Bon : La civilisation des Arabes).

Géographie :

Lorsque les Arabes commencèrent leurs recherches géographiques, ils puisèrent leurs premières informations dans les livres grecs.
Comme pour l'astronomie, Ptolémée fut leur guide principal. De nouvelles observations astronomiques, ordonnées par le khalife Al-Mamûn et exécutées par les auteurs de la Table vérifiée, corrigèrent l'Almageste.
Le " Rasme al-ard " (description de la terre), détermina avec plus de précision les longitudes terrestres et apporta des améliorations notables aux tables de Ptolémée.
La comparaison entre les positions déterminées par les Grecs et celles qu'établirent les Arabes prouve que les premiers commentaient des erreurs de plusieurs degrés, alors que, chez les arabes, les latitudes sont exactes à quelques minutes près.
Le plus ancien ouvrage de géographie arabe connu est le traité de Nahdar de Basra paru en 740. Vient ensuite le manuel de géographie d'Istakari, publié au milieu du IX siècle.
Jusqu'au XI siècle, la géographie mathématique ne fit pas de progrès notables. Par contre la géographie descriptive connut un développement remarquable.
Les Arabes furent de tout temps des voyageurs hardis. " La passion des voyages, remarque Renan, est un des traits les plus saillants du caractère des Arabes et un de ceux par lesquels ils ont marqué le plus profondément leur trace dans l'histoire de la civilisation. Avant le grand élan de la navigation espagnole et portugaise au XV et XVI siècles, aucun n'avait autant que les Arabes contribué à élargir l'idée de l'univers et à donner à l'homme une idée exacte de la planète qu'il habite, première condition de tout véritable progrès. " (Ernest Renan : Mélange d'histoire et de voyage. Paris 1878).
Dès les premières années de la fondation de l'Empire de l'Islam, ils pénétrèrent très loin à l'intérieur des terres de l'Asie, de l'Europe orientale et de l'Afrique. Leurs embarcations sillonnèrent la Méditerranée, le golfe Persique, l'Océan Indien et les Mers du Sud.
Les premiers explorateurs de ces régions lointaines, alors à peine soupçonnées des Européens, furent les marchands arabes. Ces négociants intrépides visitèrent, au IX siècle de notre ère, la Chine, plusieurs parties inexplorées de l'Afrique et les contrées hyperboréennes de la Russie actuelle.
Il s'y révéla observateur avisés et propagateurs zélés de la foi et de la civilisation musulmane.
Certes, les qualités nécessaires à des investigations scientifiques sérieuses manquaient à ces commerçants. Leurs récits imagés et captivants contenaient pourtant une foule d'observations intéressantes et d'indications utiles. Ils stimulèrent au plus haut degré la curiosité des savants et des lettrés qui les suivirent plus tard dans leurs pérégrinations.
Quelques-unes des révélations de ces commerçants sont arrivées jusqu'à nous. La description du voyage en Chine que fit, au IX siècle un certain Souleymane mérite particulièrement notre attention. Son livre, écrit en 851 et complété en 880 par Abû Zeid, fut le premier ouvrage publié en Europe sur la Chine.
Quand l'Empire de l'Islam s'étendit de l'Orient Atlantique aux frontières de la Chine, les grandes routes intercontinentales s'ouvrirent au trafic.
Quatre routes principales menaient de Tanger et de Cadix aux extrémités de l'Asie. L'une traversait l'Espagne et le continent européen jusqu'à la Caspienne. La deuxième menait de l'Afrique de Nord à l'Inde par l'Egypte, la Syrie, l'Irak et l'Iran. Les deux dernières franchissaient la Méditerranée et se dirigeaient l'une par la Syrie et le Golfe Persique et l'autre par Alexandrie et la Mer Rouge, pour se rejoindre dans l'Océan Indien.
Les ouvres de Maçûdi, d'Ibn Haukal, d'Al-Istakari et d'autres renseignaient les voyageurs sur les dangers qui les attendaient sur les routes, sur les particularités de la vie et des mœurs des habitants des contrées lointaines.
Voici de brefs renseignements sur quelques-uns des célèbres voyageurs musulmans dont les œuvres, pleines de sciences et de talent, constituent un trésor inestimable de connaissances géographiques et historiques.
Maçûdi (Hassan Ali Al-Maçûdi), auteur des " Prairies d'Or ", dont le grand mérite fut reconnu par le monde scientifique dès la fin du XVIII siècle, naquit à Bagdad à la fin du IX siècle. Il mourut au Caire en 956. Il passa vingt cinq ans de sa vie en voyages. Il parcourut toutes les provinces de l'immense Empire des khalifes, visita l'Inde et poussa peut-être jusqu'à Ceylan, Madagascar et Zanzibar.
Intelligence ouverte, toujours en éveil, esprit observateur et scientifique, Macûdi s'intéressa à tout : aux questions géographiques et historiques, aux problèmes religieux et philosophiques, aux arts et aux métiers, au commerce et à la navigation. Il sut tout voir et tout noter.
Voici dans quels termes, quatre siècles plus tard, Ibn Khaldûn appréciait son œuvre :
" Dans les Prairies d'Or, dit le célèbre auteur des Prolégomènes, Maçûdi a dépeint l'état ou se trouvaient les peuples et les pays de l'Orient et de l'Occident à l'époque où il écrivait, c'est-à-dire en l'an 330 de l'Hégire (941 de JC). Ce traité nous fait connaître leurs croyances, leurs mœurs, la nature des contrées qu'ils habitaient, leurs montagnes, leurs mers, leurs royaumes, leurs dynasties, les ramifications de leur race et celles des nations étrangères ; aussi est-il un modèle sur lequel les autres historiens se règlent, un ouvrage fondamentale sur lequel ils s'appuient pour montrer la vérité d'une bonne partie de leurs enseignements. "
Le jugement moderne n'eut qu'à confirmer l'opinion flatteuse d'Ibn Khaldûn.
C'est ainsi qu'Ernest Renan écrit : " La vivacité d'esprit, le talent, la largeur du jugement qui résulte de la liberté des mœurs et de la liberté de croyance, coulent à pleins bords dans ces récits décousus "
Ibn Haukal, qui est de peu postérieur à Maçûdi, a laissé un ouvrage dont la valeur scientifique est incontestable. Ces quelques lignes, dans lesquelles il explique lui-même sa méthode, en donnent une idée.
" J'ai décrit la terre en long et en large et j'ai fait connaître les provinces musulmanes. Chaque région particulière est accompagnée d'une carte qui en offre la situation. J'indique les limites de chaque région, les villes et les cantons qui s'y trouvent, les rivières qui l'arrosent, les dépôts qui en modifient la surface, les ressources qu'elle présente, les impôts de diverses natures qu'elle paie, les routes qui la traversent, les distances qui la séparent des contrées voisines, le genre de commerce qui y réussit le mieux ; en un mot, j'ai rassemblé tous les renseignements qui ont fait de la géographie une science qui intéresse les princes et les personnes de toutes classes. "
Al-Birûni, dont nous avons déjà eu l'occasion de parler, naquit en 973 dans un faubourg de Khawarizm et mourut en 1043. Il étudia les mathématiques, l'astronomie et la médecine. Il corrigea, vers 1025, les erreurs qui affectaient les longitudes de la Transoxiane et du Sind.
Al-Idrissi naquit à Ceuta en 1099. Il fut le premier à établir la liaison entre la géographie des Latins et celle des écoles Musulmanes. Il avait fait ses études à Cordoue et se rendit ensuite à la cour de Roger, roi de Sicile.
" Il fabriqua pour ce prince une table ronde en argent du poids de huit cents marcs, sur laquelle il avait fait graver en arabe tout ce qu'il avait pu voir des diverses contrées de la terre alors connues ; il avait aussi composé un traité de géographie, qui nous est seul parvenu, et que, pendant trois siècles et demi, les cartographes de l'Europe n'ont fait que copier avec des variations peu importantes. " (Sédillot : Histoire des Arabes).
Le savant marocain Abû Al-Hassan Ali, dont l'ouvrage est un des plus précieux monuments de la géographie arabe, apporta la dernière réforme qui manquait encore au Rasm al-Ard en corrigeant de fausses indications qu'il contenait au sujet du littoral de l'Espagne et de l'Afrique septentrionale.
Ibn Batûta est, peut-être, le plus populaire des voyageurs musulmans. Il a fait plusieurs randonnées impressionnantes à travers les continents. Chacune d'elles aurait suffit à remplir de souvenirs toute une vie.
Né à Tanger en 1304, il commença jeune ses voyages. Parti en 1325 de sa ville natale, il fit en premier lieu le pèlerinage aux Lieux Saints de l'Islam.
Il traversa l'Afrique du Nord et la haute Egypte jusqu'à la Mer Rouge. N'ayant pas trouvé le passage sûr, il fit demi-tour et arriva à la Mecque par la Syrie et la Palestine.
Au cours de deux autres grands voyages, il visita l'Egypte, l'Asie mineure et Constantinople où il accompagna une princesse grecque, épouse du sultan Mohammed Uzbek.
Il alla aux Indes par la route de la Volga, du Khawarizm, de Boukhara et de l'Afghanistan, resta deux ans à Delhi, où il exerça la fonction de cadi (juge). Une ambassade étant alors envoyée en Chine par le Grand Mongol, il s'y joignit et gagna le Céleste Empire par Ceylan et le Bengale.
Il retourna en Arabie par Sumatra, voyagea en Perse, en Syrie et en Mésopotamie, fit son quatrième pèlerinage à la Mecque en partant de l'Egypte et revint à Fez en 1339.
Enfin, au cours de son dernier voyage, il parcourut l'Espagne, s'avança à l'intérieur de l'Afrique jusqu'à Tombouctou et retourna au Maroc par les oasis d'Agades et de Tawat. Ibn Batûta mourut en 1377.
La relation de ses voyages est considérée dans le grand ouvrage " Tuhfat al Nuzzar fi Ghara'ib al Amssar " et présente un vif intérêt.
Son défaut est qu'il ne fut pas composé au fur et à mesure des impressions reçues, mais dicté de mémoire à partir de 1354. Aussi par instant, sent-on que sa mémoire lui fait défaut !
Mohammed Ibn Mohammed, qui recueillit le récit d'Ibn Batûta et arrangea son style, s'appuyait sur la documentation d'Ibn Djubaîr, autre voyageur arabe de marque, dont l'ouvrage est considéré comme capital, surtout pour la connaissance de la Sicile du XII siècle, sous Guillaume le Bon.
La carte générale du monde d'Ulug Beg, l'auteur des célèbres tables astronomiques qui portent son nom, mérite une mention spéciale. Il la fit dresser en se basant surtout sur les écrits de Nasr ed-Dinne Thûsi et les observations d'Ali Khschadji. Ce dernier entreprit sur ces ordres un voyage en Chine et vérifia la mesure d'un degré du méridien et la grandeur du globe.
Disons aussi un mot des cartes nautiques des Arabes. Mr Sédillot écrit que " Vasco de Gama, en vit une, en 1497, chez Malem Cana, maure de Guzzarate, qu'il prit comme pilote à Mélinde ; une autre, dessinée par L 'Arabe Omar, servait au grand Albuquerque pour la navigation sur la mer d'Oman et le golfe Persique ".
Les travaux des savants musulmans ont joué un certain rôle dans la découverte de l'Amérique.
" Dans une lettre datée d'Haïti (Octobre 1498), Christophe Colomb nomme Avenruyz (Averroès), d'après une citation de Pierre d'Ailly, comme un des auteurs qui lui ont fait deviner l'existence du Nouveau Monde. " (Navarete : Coleccion de viajes y descubrinientos. Madrid 1825 ; cité par E. Renan dans Averroès et averroïsme).
Pour terminer ce court aperçu sur la géographie musulmane, mentionnons enfin le très distingué voyageur turc Evliya Effendi.
Ce qui constitue l'intérêt particulier de l'ouvrage de cet écrivain du XVII siècle, aussi érudit qu'observateur, c'est l'attention spéciale qu'il porte aux questions sociales et économiques ainsi qu'à la description des ouvrages militaires des diverses contrées qu'il a visitées. (Narrative of Travel in Europe, Asia and Africa in the seventeenth Century by Evliya Effendi. Trad. J. von Hammer. Londres 1846 et 1850)

Sciences politiques et sociologie :

Les ouvrages consacrés à la philosophie politique et à la sociologie constituent un des plus beaux ornements de la littérature musulmane.
Les écrivains des trois principales langues de l'islam, l'arabe, le persan et le turc, apportèrent des vues profondes et variées sur l'art de gouverner et sur divers problèmes de la vie en société.
Au III siècle de l'Hégire déjà (IX siècle de l'ère chrétienne), Al-Kindi, fondateur de l'école hellénistique de la philosophie musulmane, s'intéressait à la politique, comprise, selon la tradition grecque, comme une science distincte, faisant partie de la philosophie.
Al-Fârâbi, le plus grand philosophe musulman avant Avicenne, écrivit un traité d'une rare élévation d'esprit et d'une grande générosité de sentiment, intitulé la " Cité Modèle ". Partant du principe platonicien que les hommes sont faits pour vivre en société, Al-Fârâbi arrive à la conclusion que l'Etat parfaitement organisé devrait embrasser toute la terre habitée et comprendre toute l'humanité.
L'idée de l'Etat universel évoque d'habitude dans notre esprit la conception de l'Empire romain, les luttes de la Papauté et de l'Empire au Moyen Age ou les théories de certains utopistes modernes.
Cette idée n'était nullement étrangère à la pensée politique musulmane. Elle se trouve d'ailleurs implicitement incluse dans la conception théocratique de l'Islam. La " Cité Modèle " d'Al-Fârâbi en est une expression des plus caractéristiques.
En conformité avec les tendances mystiques de sa philosophie, l'auteur assigne à l'Etat universel des buts purement moreaux. Le devoir de l'Etat serait d'assurer aux citoyens le gouvernement parfait sur terre et la félicité éternelle après la mort.
La cité idéale doit être administrée par un chef suprême, possédant les qualités suivantes : " Une grande intelligence, une mémoire infaillible, l'éloquence, le goût de l'étude, la tempérance, l'élévation de l'âme, l'amour de la justice, l'obstination sans faiblesse et la fermeté dans l'accomplissement du bien ".
Si l'on ne trouve pas toutes ces qualités dans une seule personne, on recherchera deux ou trois ou plusieurs personnes qui réunissent ensemble les qualités requises du chef et on leur confiera le gouvernement.
Al-Fârâbi, dont les préférences vont à la monarchie, si le monarque remplit les difficiles conditions précitées, aboutit donc, comme Platon, à un gouvernement de sages ou à la république aristocratique.
Ces vues généreuses et utopiques contrastent avec les préceptes d'Ibn Zafer, un Arabe sicilien du XII siècle, dont l'ouvrage, le Salwan al-Motaâ (le réconfort politique), fut comparé au " prince " de Machiavel. Il contient des maximes conçues dans l'esprit du secrétaire florentin, mais encore plus raffinées et perfides.
D'autres ouvrages de philosophie politique des auteurs musulmans, dont il est matériellement impossible de donner ici une énumération, ont tantôt le caractère de théories philosophiques du droit coranique, comme le traité de Mawerdi, ou sont des œuvres de savants historiens et de sociologues pénétrants, comme Ibn Khaldûn, ou d'homme d'Etat à l'ésprit philosophique comme Abû Al-Fazl ou Nizam Al-Mûlk.
Des remarques rapides sur l'œuvre et la personnalité de quelques-uns de ces écrivains permettront, peut être, au lecteur de se faire une idée approximative du caractère et de la portée de la pensée politique musulmane.
Al-Mawerdi (972-1058), jurisconsulte renommé, fut grand cadi à Ostowa, près de Nisabour. Son livre, intitulé Kitab al ahkam es-soultaniyeh (Livre des règle du pouvoir), est consacré aux principales institutions politiques, sociales et juridiques de l'Etat de l'Islam.
On y trouve une fort intéressante théorie du Khalifat. Elle commence par une claire et élégante définition du rôle du vicaire du Prophète.
" On appelle khalifat, dit Mawerdi, l'autorité dont est investie la personne qui remplace le Prophète dans sa double mission de défendre la foi et de gouverner le monde. "
Pour le docteur musulman, le pouvoir suprême dans l'Islam repose sur un véritable contrat. La prestation de l'hommage qui consacre le khalifat n'est pas autre chose que l'élection. Le suffrage des électeurs n'est pourtant pas une nécessité absolue. Le contrat peut avoir son fondement dans l'accord tacite de la nation. Il trouve alors son expression dans une disposition spéciale prise à ce sujet par le khalife précèdent. D'où la théorie du successeur désigné.
L'auteur traite ensuite des conditions de déchéance du khalife, de la désignation des vizirs et des gouverneurs de province, de la nature de leurs pouvoir et de leurs attributions.
Al-Ahkam es-soultanieyh fut traduit en français ainsi qu'un autre ouvrage de Mawerdi intitulé les statuts gouvernementaux.
Ibn Khaldûn, dont la renommé à dépassé depuis longtemps le cercle restreint des orientalistes, naquit à Tunis en 1332. Il passa sa jeunesse au milieu de révolutions qui ensanglantèrent l'Afrique du Nord au XIV siècle. Après avoir servi quelques années le roi de Fez et le sultan de Grenade, dont il fut l'ambassadeur auprès de Pierre le Cruel, Ibn Khaldûn s'installa au Caire. Dans cette ville, il exerça à plusieurs reprises les fonctions de grand cadi et professa publiquement. Il y mourut en 1406, à l'age de 74 ans.
Ibn Khaldûn a écrit une histoire universelle. Elle porte le titre de " Kitab al Aibar wa Diwan al Mobtadaa wa'l Khabar fi Aiyam al Arab wa'l Adjam wa'l Barbar " c'est-à-dire " Livre des exemples instructifs et recueil d'origines et de récits concernant l'histoire des Arabes, des peuples étrangers et des Berbères ".
L'ouvrage se compose de trois livres, d'une introduction et d'une autobiographie. Le premier livre avec l'introduction forme une partie distincte que l'on appelle d'habitude les " Prolégomènes " (Les Prolégomènes furent traduits en français par M. de Slane, en 1868).
Il contient des considérations générales sur l'histoire, sur les diverses formes de civilisation qui résultent du climat, de la vie nomade ou de la vie sédentaire, sur les mœurs propres à chacune de ces civilisations, sur les institutions sociales, sur les sciences et les arts qui s'y développent. Il traite des sciences coraniques et des mathématiques, du chant et de la musique instrumentale, de l'agriculture et de l'artisanat.
Ces réflexions sont accompagnées d'exemples choisis dans la vie courante et dans les ouvrages des écrivains les plus connus de l'époque.
C'est une véritable encyclopédie, empreinte d'un profond esprit philosophique, où l'histoire elle-même n'est conçue que comme une partie intégrante de la philosophie.
" Regardons, dit Ibn Khaldûn, les caractères intérieurs de la science historique ; ce sont l'examen et la vérification des faits, l'investigation attentive des causes qui les ont produits, la connaissance profonde de la manière dont les événements se sont passés et dont ils ont pris naissance : l'histoire forme donc une branche importante de la philosophie et mérite d'être comptée au nombre des sciences ".
c'est déjà une conception moderne des l'histoire, qui voit son rôle surtout dans l'analyse des faits et la recherche des causes. Elle présuppose une connaissance approfondie de la civilisation des peuples et de leur psychologie.
Il est pratiquement impossible d'analyser ici l'œuvre immense d'Ibn Khaldûn. Essayons pourtant d'en dégager quelques aspects. Ils nous aiderons à nos former une idée de la manière personnelle de cet écrivain profond et original.
Arrêtons-nous d'abord sur la théorie de l'asabiyah qui explique les causes d'ascension et de décadence des Empires.

Les considérations ingénieuses et savantes sur la fragilité des civilisations, sur leur évolution cyclique, sur le rôle éminent des élites dans la formation des Etats, dont Ibn Khaldûn appuie sa théorie, sont d'un intérêt tous particulier.
Elles font de cet écrivain musulman du XIV siècle un précurseur lointain, mais authentique, des Vico, Gobineau, Spengler.
Le point de départ d'Ibn Khaldûn est l'affirmation qu'il y a une analogie complète entre la vie d'un Etat et celle d'un homme ou de tout autre être vivant. Comme eux, les Etats naissent, croissent et meurent. Comme eux, ils sont assujettis à certaines règles d'évolution naturelle.
Ibn Khaldûn s'attache à la découverte et à l'exposition des causes de cette évolution. La cause principale de la naissance d'un Etat est, selon lui, l'asabiyah.
La traduction exacte de cette notion est malaisés. Elle caractérise à l'origine l'élan agissant et organisateur des liens du sang. Dans le domaine de la pensée politique, elle désigne, par extension, l'instinct de solidarité de l'élite dirigeante appuyé par tout le complexe des forces qui poussent des tribus diverses et éparpillées à s'unir en un Etat centralisé et leur inspirent l'instinct de conservation et l'esprit de conquête.
L'Etat, forgé et perpétué par l'asabiyah, traverse, au cours de son évolution, cinq phases successives. La première est la phase populaire, où la force cohésive et propulsive de l'asabiyah n'en est qu'à son stade de formation.
Elle est suivie d'une phase aristocratique, où le roi n'est encore qu'un primus inter pares, et où l'Etat poursuit avec vigueur sa marche ascendante.
Vient ensuite la phase autocratique, qui est la période de la plénitude de l'asabiyah et de la plus grande puissance de l'Etat.
Avec la quatrième phase, la décadence commence. L'asabiyah s'affaiblit graduellement et, de plus en plus, les courants dissolvants minent l'Etat. Cette période est marquée par des désordres intérieurs, l'insécurité aux frontières et la perte de provinces. Enfin, cinquième et dernière phase, l'extinction de l'asabiyah et la chute de l'Etat.
Ainsi, le processus historique de formation des Empires est assujetti à une loi qui porte en elle-même le germe de leur dissolution future.
Ce vice intérieur est fatal. Il est dans la nature humaine. Les hommes sont à la fois des animaux sociaux et des bêtes brutes. Ils se réunissent en communautés, non en vertu d'un contrat social librement accepté, mais sous la contrainte d'une nécessité inéluctable. Il leur faut alors une autorité supérieur, un gouvernement pour freiner, par des lois et des sanctions, leurs instincts sauvages et pour assurer, par la force, l'ordre et la sécurité.
Il y a, selon Ibn Khaldûn, deux sortes d'autorité gouvernementale, l'une prophétique, fondée sur une religion révélée et l'autre basée sur les contingences d'ici-bas.
La seconde comprend deux formes, suivant qu'elle a pour objet le bien commun ou des intérêts personnels des gouvernements.
Quelle que soit la base sur laquelle repose l'autorité gouvernementale, l'ordre et la sécurité amènent la prospérité et le luxe. Leur cortège inévitable, la quiétude d'esprit et la dissolution des mœurs, sapent dangereusement la vigueur morale et la force de résistance du peuple. Et le désordre intérieur et les guerres extérieurs naissent de l'excès même de sécurité et du bien être général, ou plutôt de la nonchalance et de la mollesse qui en résultent.
Les idées économiques d'Ibn Khaldûn ont une allure aussi moderne que ses conceptions politiques. L'Etat est le plus grand des commerçants, affirme l'écrivain maghrébin ; en bon commerçant prévoyant, il se doit de faire en sorte que l'argent qu'il reçoit par les impôts circule à nouveau dans la population. Les impôts modiques sont le meilleur encouragement au travail. Par contre, l'exagération inconsidérée du taux de l'impôt le rend infructueux.
Ibn Khaldûn étudie ensuite les autres moyens dont l'Etat dispose pour se procurer de l'argent. Il passe au crible d'une critique serrée la confiscation, les monopoles, le contrôle officiel du commerce, pour conclure que la richesse de l'Etat se base sur la population et sur son esprit d'initiative.
L'étatisme et l'intervention exagérée des autorités publiques diminuent cette richesse et entravent le développement normal de l'économie.
En vérité, nos écoles modernes du libéralismes économique n'ont rien ajouté à ce jugement, formulé à la fin du XIV siècle.
En terminant cet aperçu, nécessairement trop rapide et superficiel, sur les écrivains politiques de l'Islam, mentionnons, en quelques mots,l'œuvre d'Abû Al-Fazl, ministre d'Akbar, empereur mongol des Indes.
Abû Al-Fazl naquit à Agra en 1551. Il reçut une éducation soignée sous la surveillance de son père, le cheikh Mubarak, homme d'une grande intelligence et d'un savoir encyclopédique.
C'est à lui qu'Abû Al-Fazl et son frère Faîz, poète renommé, sont redevable de cette largeur de vues sur la religion et sur la politique qui les mit plus tard en opposition avec les milieux orthodoxes.
Rien ne décrit mieux la tournure d'esprit de ce remarquable philosophe et homme d'Etat, que les lignes suivantes, écrites par lui-même, sur les années de sa formation spirituelle.
" Je passais les nuits, dit-il, dans les lieux solitaires, avec ceux qui cherchaient sincèrement la vérité, et je jouissais de la société de ceux qui ont les mains vides, mais dont l'esprit et le cœur sont riches ; ainsi mes yeux s'ouvrirent et je compris l'égoïsme et la cupidité de ceux qu'on appelle des docteurs…Mon esprit n'eut plus de repos, mon cœur se sentit attiré vers la sagesse de la Mongolie comme vers les ermites du Liban ; je rechercherai avec ardeur des entretiens avec les lamas du Tibet ou avec les padris du Portugal, et volontiers je m'asseyais avec les prêtres des Parsis ou les interprètes du Zend Avesta ; j'étais las des docteurs de mon pays ".
Philosophe, savant et administrateur, ami personnel d'un empereur puissant et éclairé, Abû Al-Fazl vécut une vie d'une rare plénitude et mourut en 1602, relativement jeune, à l'age de 51 ans, assassiné sur l'ordre du prince Sélim, future grand Mongol Djihanguir.
L'Akbar Nameh d'Abû Al-Fazl est, sans conteste, l'ouvrage le plus important de l'histoire musulmane de l'Inde. Il est divisé en trois parties : la première contient l'histoire des incursions de Tamerlan dans les Indes et celle des princes timourides qui on régné sur ce pays ; la deuxième est entièrement consacrée au long et glorieux règne d'Akbar ; la troisième, qui porte le titre d'Aîn-i-Akbari et se subdivise en cinq livres, donne un très grand nombre de renseignements d'une valeur inestimable sur le fonctionnement de l'appareil judiciaire et administratif de l'Etat, sur la condition social des Indiens, sur leur religion, leur philosophie et leur droit.
On y trouve le tableau des revenus de l'Etat, des considérations sur le trésor public et la mesure des terres, les statistiques et les rapports administratifs.
Plusieurs chapitres traitent de questions relatives aux arts et aux métiers et aux livres que l'on traduisait ; d'autres s'occupent des perfectionnements techniques dans l'armement des troupes, du progrès de l'artillerie, etc.
Cette partie enfin, contient un nombre considérable de maximes, de sentences morales et de préceptes politiques d'Akbar, que le fidèle ministre et ami avait recueillis au jour le jour.
" En résumé, dit M. Carra de Vaux, cet extraordinaire ouvrage, rempli de vie, d'idées et de sciences, où tous les compartiments de la vie sont examinés, inventoriés, mis en ordre et où du progrès éclate à chaque instant, est un document dont la civilisation orientale peut à juste titre être fière.
Les hommes dont ce livre exprime le génie ont devancé leurs temps dans l'art pratique du gouvernement, comme peut-être aussi ils l'ont devancé dans les spéculations sur la philosophie religieuse. Ces poètes, ces méditatifs savent manier le concret. Ils observent, classent, comptent, expérimentent. Si leur vient des idées, ils les soumettent à l'épreuve des faits. Ils les expriment avec éloquence, mais les appuient de statistiques. En Occident, nous louons Leibniz d'avoir fait entrevoir l'intérêt de la statistique et les services qu'elle peut rendre, et nous la considérons comme une science moderne. Le gouvernement d'Akbar l'a, il y a plus de trois siècles, appliquée avec méthode dans son administration, à coté des principes de tolérance, de justice et d'humanité ". (Carra de Vaux : Les penseurs de l'Islam. Paris 1923)

L'Histoire :

On a reproché aux historiens musulmans, et aux Arabes surtout, un manque d'esprit critique dans l'appréciation es faits et une certaine sécheresse dans l'exposé. Cette observation n'est pas sans fondement mais il faudrait cependant se garder de généraliser.
Plusieurs écrivains musulmans, surtout persans et turcs, eurent au contraire un style imagé et plein d'agréments. Le sens critique, non plus, ne leur fit pas défaut.
Le jugement défavorable que la science occidentale porta longtemps sur l'œuvre historique des acteurs musulmans s'explique plutôt par la façon des orientaux de concevoir l'histoire. Elle diffère de la manière occidentale, surtout de celle des écoles modernes.
Leur histoire a le caractère de chroniques consciencieusement enregistrées et non des vastes synthèses qui séduisent l'esprit européen.
Les historiens musulmans s'attachèrent surtout à noter des faits et à ramasser des documents. Ils se considèrent comme des collecteurs de renseignements et des agents d'information pour la postérité et non comme des interprètes et des juges des événements passés. Ils n'eurent pas l'ambition de découvrir la vérité historique, mais voulurent réunir les traditions éparses et apporter la plus grande précision dans le récit des événements dont ils purent prendre connaissance.
Dans ce labeur, les historiens musulmans firent preuve d'une probité intellectuelle incontestable.
Ils attachèrent aussi au rôle de la personne humaine dans l'histoire une plus grande importance que ne le font certaines écoles historiques de notre temps. D'où cette abondance de dictionnaires biographiques qui constituent une véritable mine de renseignements.
Cette façon de comprendre l'histoire, conforme à l'esprit analytique des Orientaux, prête évidemment à controverse.
Elle a certainement un défaut. Les idées générales et la démonstration des liens internes entre les événements, qui constituent une des caractéristiques essentielles de la science historique, manquent à leurs récits. Mais elle a aussi des avantages. L'auteur, dont la tâche consiste à transmettre les traditions sans exégèse et sans critique, nous offre plus de garanties de sincérité et d'impartialité que l'écrivain qui nous présente des documents épurés ou déformés selon ce qu'il croit, de bonne foi ou de parti pris, faux ou véridique.
Les plus anciens écrits historiques des auteurs musulmans remontent au temps des omeyyades ; dans la liste des quatre-vingts historiens que cite Maçûdi au commencement des Prairies d'Or, figure le nom d'Abû Mikhnaf, mort en 130 de l'Hégire (747 de JC).
Le nombre d'écrivains musulmans qui ont laissé des ouvrages d'histoire est très grand. Dans le dictionnaire historique de Kâtib Tchelebi, dit Hadji Khalfa, on relève plusieurs centaines de noms d'historiens renommés. Nous ne parlerons ici, à titre d'exemples, que des plus caractéristiques.
Tabari (Abû Djafar Mohammed Ibn Djerir Al-Tabari) naquit en 839 à Amol, ville de la province persane de Tabaristan et mourut en 922 à Bagdad. Il fut historien, juriste et théologien. Par une érudition exceptionnelle et par une somme énorme de travail littéraire, il acquit une autorité qui n'a guère été dépassée en Orient.
Maçûdi le considère comme le plus grand de ses prédécesseurs.
" La chronique d'Abû Djafar Mohammed Ibn Djerir Al-Tabari, dit-il, brille entre toutes autres œuvres historiques et leur est bien supérieur. La vérité des renseignements, des traditions, des documents scientifiques qu'elle renferme la rend aussi utile qu'instructive. Comment pourrait-il en être autrement, puisque l'auteur était le premier jurisconsulte et le plus saint personnage de son siècle et qu'il réunissait à la connaissance de toutes les écoles de jurisprudence, celle de tous les historiens et traditionalistes ".
Son livre, " la Chronique ", est considéré comme un des ouvrage fondamentaux de l'histoire arabe. Sa valeur, surtout pour la connaissance des origines de l'Islam, est inestimable ; il contient un nombre incalculable de renseignements précieux sur la langue, les mœurs et les caractères de l'époque. Le récit de la Chronique va jusqu'à l'an 914 de JC.
Esprit dogmatique et juridique. Tabari s'intéressa principalement aux traditions de l'Islam et aux questions juridiques.
Un autre de ses ouvrages, qui connut presque la même renommée, est son Commentaire du Coran. Son style ne passe pas pour facile.
Maçûdi, dont nous avons déjà eu l'occasion d'apprécier les qualités de géographe, jouit aussi d'une grande réputation comme historien.
Comme Tabari, il brilla par l'étendue et la vérité de ses connaissances. Moins lié par la dogmatique de l'islam et l'esprit plus scientifique que son illustre rival, il porta, comme nous l'avons vu, sa curiosité insatiable sur une multitude de questions des plus déverses.
L'histoire littéraire surtout occupe une très grande place dans ses récits.
" On dirait, remarque Renan, que Maçûdi, devinant les procédés de la critique moderne, a compris quelle lumière des œuvres de la littérature jettent sur l'histoire politique et sociale d'un siècle ".
Sa vaste œuvre historique fut consignée dans l'ouvrage qui porte le titre d'Akhbar az-zaman et qui compte plus de vingt volumes in quarto. Il existait de cette œuvre une rédaction moins longue, intitulé Kitab Aousat (Le livre moyen).
Ces livres ne sont malheureusement pas arrivés jusqu'à nous. Les Prairies d'Or sont, avec le Livre d'Avertissement, les seuls ouvrages de Maçûdi qui nous soient parvenus. Toutes les Prairies d'Or paraissent être la rédaction abrégée d'œuvres perdues. La première partie du livre est consacrée à l'histoire préislamique des Arabes et des nations étrangères, la seconde à celle de Mohammed et ses successeurs.
Ibn Miskawaîh, historien distingué, fut un des principaux moralistes de l'Islam. On ne sait pas grand chose sur sa vie. Il fut trésorier du sultan bouyide Adod ed-Dine et mourut en 1030.
L'œuvre de cet écrivain original, indépendant et sceptique s'inscrit en faux contre l'opinion courante qui prétend que les historiens musulmans sont dépourvus de sens critique.
Son Tadjarib al-Umam (Les expériences des Nations) traite de l'histoire de l'ancienne Perse et des Arabes jusqu'à son époque.
Ses sympathies marquées vont à la Perse, dont il s'occupe plus spécialement. De tendances rationalistes, il montre assez de tiédeur pour l'Islam, omet dans son récit la vie du Prophète et remarque que l'expansion arabe avait commencé avant Mohammed.
Son intérêt se porte surtout sur les questions de philosophie politique et sur les problèmes économiques. Il parle volontiers des institutions sociales et de l'administration.
Les idées générales et la psychologie des acteurs du drame historique se dégagent d'elles-mêmes de son récit fouillé et serré.
En morale il a laissé une œuvre importante intitulée Les mœurs des Arabes et des Perses.
Ibn Al-Athir naquit en 1160 en Mésopotamie. Il est connu comme continuateur de Tabari. Il fit un abrégé clair et élégant de l'œuvre monumentale du maître. Il y ajouta divers renseignements puisés à d'autres sources et continua le récit jusqu'à 1230. il écrivit en outre l'histoire des princes atabegs de Mossoul.
Le mérite principal de l'œuvre d'Ibn Al-Athir réside, aux yeux des européens, dans les nombreux renseignements qu'il contient sur la partie occidentale du monde de l'Islam.
M. Michel Amari l'a mis largement à contribution pour son grand ouvrage sur la domination arabe en Sicile.

M. E. fagnan en a extrait les passages relatifs à l'Afrique du Nord, à l'Espagne et à la Sicile, et les a édités en un volume séparé.
Abû Al-Fidâ, prince de Hama, Ayyoubide, descendant d'un neveu du fameux Saladin des Croisades (1273-1331), est une des figures les plus séduisantes des lettres arabes.
A un esprit brillant et universel, il alliait le charme exquis de ses relations. Savant, historien, géographe et poète, il fut aussi un guerrier émérite et un homme politique d'une rare habilité.
Dans une époque particulièrement trouble, où la puissance des sultans s'affirmait de plus en plus et broyait le pouvoir des seigneurs féodaux, il sut conserver et agrandir le patrimoine de sa famille. Par sa sage administration et par ses nombreux constructions publiques, il a bien mérité de sa principauté.
La Chronique d'Abû Al-Fidâ, Mustasar tarikh al-Basar, fut traduite et éditée à Leipzig en 1754. Elle traite du genre humain, du temps des patriarches jusqu'en 1328. Pour les temps reculés, le livre d'Abû Al-Fidâ ne présente pas grand intérêt. Il en est tout autrement pour les événements auxquels l'auteur assista personnellement ; et il fut étroitement mêlé à presque tous les principaux événements de son temps.
L'histoire politique et littéraire de l'Islam, ainsi que celle des empereurs grecs des VIII, IX et X siècles, constituent également des parties fort attrayantes de la Chronique.
Makkari, (Ahmed Ibn Mohammed Al-Makkari), le plus important historien de l'Espagne musulmane, naquit à la fin du XVI siècle et mourut au Caire en 1631.
Son grand ouvrage " Analectes sur l'histoire et la littérature des Arabes d'Espagne " fut publié à Leyde de 1855 à 1859.
Makkari est encore plus biographe qu'historien. Deux de ses livres sont entièrement consacrés aux grands personnages et aux savants musulmans qui sont allés de l'Andalous en Orient ou de l'Orient à l'Espagne. Dans d'autres livres, il revient volontiers à ce genre.
La curiosité de cet écrivain à l'intelligence aiguë se porte sur des objets divers. Son ouvrage est une véritable mine de renseignements sur les différentes contrées de l'Espagne, sur la vie, les mœurs et les caractères des habitants.
Ses biographies, riches en détails et en anecdotes piquantes, traitées dans un style alerte et précis, donnent un tableau saisissant des événements historiques et de la vie quotidienne de l'Andalus.
Elles attestent une vie intellectuelle intense, non seulement dans les grandes villes comme Cordoue, Grenade et Séville, mais aussi dans tout le pays.
Les détails relatifs à la vie des juristes, des médecins, des musiciens, des chanteuses, des femmes savantes, poétesses et jurisconsultes, sont d'un prix inestimable pour la reconstruction de la brillante société musulmane d'Espagne.
Rachid ed-Dinne (Fadl Allah Rachid ed-Dinne Al-Hamadani) est un des plus grands, sinon le plus grand historien de la Perse. Hamadan, Kazwin et Tabriz se disputent l'honneur d'être sa ville natale.
Vizir de trois souverains mongols de Perse, Rachid ed-Dinne vécut une vie mouvementée, connut les hauts et les bas de la fortune et, victime des calomnies de ses adversaires, qui lui enviaient ses richesses et sa magnificence, il termina son existence sur l'échafaud.
Historien de grande classe, écrivain au style sobre, Rachid ed-Dinne composa son " Histoire des Mongols " sur l'ordre de Ghazan Khan.
Il ajouta un aperçu de l'histoire des autres peuples et une description des régions connues des Mongols.
Cette œuvre considérable, divisée en quatre volumes et qui porte le titre de Djami el-Tawarikh (La somme des histoires), fut achevée en 1130.
Sachant plusieurs langues, l'arabe, le persan, le turc, le mongol, le chinois et l'hébreu, ayant accès aux archives de l'Empire et aux archives privées des grandes familles mongoles, Rachid ed-Dinne utilisa pour son sujet toutes les sources et toute la documentation possibles.
Son ouvrage est fondamental pour la connaissance de l'épopée mongole et pour la turcologie.
Pour ne pas allonger le récit, nous devons passer sous silence beaucoup d'autres historiens persans importants, tels que Mirkhond, Khondemir ou Chahrastani, dont l'ouvre est si importante pour la connaissance du mouvement des idées au premiers siècles de l'Hégire, particulièrement pour celle de la philosophie des mu'tazilites (mutazilites).
Les turcs osmanlis ont eu, eux aussi, un nombre considérable d'historiens de qualité. Ce qui les distingue en général, c'est l'élégance de la forme, non dépourvue quelquefois d'emphases et d'images peut-être un peu trop recherchées.
Sâad ed-Dinne est l'auteur très estimé du Tadj el-Tawarikh (Couronnes des Chroniques). Il est le plus représentatif des annalistes turcs. Malgré sa tendance à mêler au récit historique des légendes romanesques, il est considéré comme un historien fidèle, surtout pour les époques proches de la sienne.
Son histoire de Turquie va jusqu'au règne de Selim Ier (1522).
Naîma effendi, de son vrai nom Mustapha Naîm, est l'historien du règne de Murad III et des temps troubles qui l'ont suivi. Son récit embrasse l'époque qui va de 1591 à 1659 et qui marque le commencement de la décadence de l'Empire Ottoman.
Historien consciencieux et indépendant, passant au crible de son propre jugement les données empruntées aux autres chroniqueurs, Naîma est aussi un écrivain remarquable.
Son style sobre, direct et précis, contraste avec la manière affectée de Sâad ed-Dinne.
Rachid effendi continua l'œuvre de Naîma. Sa chronique s'étend de 1660 à 1721.
Asim Tchélébi Zadeh, Ahmed Wâsif, Mustapha Nédjib, Ahmed Djevdet, Tach Kôprôlù Zadeh, Katib Tchélébi et d'autres l'ont suivi.
Dans cette pléiade d'écrivains, chacun mériterait une notice particulière.
Arrêtons-nous un instant sur Katib Tchélébi, connu surtout sous le nom de Hadji Khalfa. Biographe et historien du XVIII siècle, il attira l'attention par la richesse de sa production et le caractère quelque peu spécial de son œuvre.
Hadji Khalfa fut l'historien des guerres maritimes des Turcs et l'auteur d'un très précieux " Lexico bibliographique ".
Son histoire de la marine ottomane, poursuivie jusque-en 1665, traite aussi des principes de la navigations et des règlements de l'Amirauté. Elle met à contribution les mémoires du célèbre amiral Khair ed-Dinne Barberousse qui exerça, un certain temps, une véritable maîtrise de la Méditerranée. Cet ouvrage, traduit en anglais (The history of the maritim wars of the Turks, Trad. Par James Mitchell), est un document de première ordre.
L'encyclopédie biographique de Hadji Khalfa est une oeuvre d'érudition de grande valeur, encore fort populaire en Turquie.
Parmi les autres travaux de notre auteur, mentionnons le Tarikh el-hind el-Gharbi ou histoire des Indes occidentales, consacré à la découverte de l'Amérique. Hadji Khalfa fut l'intendant des armées ottomanes. Il mourut en 1658.










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